Seule dans la nuit – une nouvelle de Noël

Voici une autre nouvelle écrite dans le cadre de l’atelier d’auto-fiction animé par Martin Winckler.

Le thème était : Seul(e) dans la nuit.

Toujours 3000 signes environ.

Bonne lecture (ou bonne écoute ou les deux).

PS. Bien entendu, je ne fête jamais Noël mais si vous me lisez depuis un moment, vous le savez. S’il-vous-plaît, ne soyez pas désolés pour moi.


Seule dans la nuit

A 8 ans, on est grande. Et quand on est grande, on va à l’école toute seule. Marie pilote un très beau vélo rouge. Elle aime sentir le vent dans ses cheveux quand elle pédale. Cette année, parce qu’on l’a changée d’école (de famille aussi mais c’est une autre histoire), elle doit traverser une grande forêt pour y aller et en revenir. Ça sent bon et puis c’est beau tous ces dégradés de vert, d’ocre et de marron. Elle regarde de tous ses yeux. Pourtant, depuis quelques jours, quelque chose a changé : elle sent une sorte d’oppression dans son ventre quand elle parcourt le bois, au guidon de son beau bolide rouge. Elle n’a pas peur, non ! Elle est grande.

C’est l’hiver maintenant. La nuit tombe vite. Elle pédale de plus en plus fort pour ne pas se faire piéger par les ombres, pour ne pas entendre les bruits bizarres que font les arbres… ou peut-être que ce ne sont pas les arbres. Les jours raccourcissent et son ventre se noue de plus en plus. Juste avant les vacances de Noël, elle explique à Madame Vincent qu’elle ne veut plus rentrer à vélo : il fait froid, il fait nuit, elle se sent toute petite, elle entend des bruits de craquement quand elle traverse la forêt, elle a l’impression qu’un monstre la suit. Madame Vincent lui répond que ce sont des bêtises de petite fille, qu’elle ne doit pas faire l’enfant, que ça suffit comme ça, qu’elle doit rentrer à vélo, qu’elle n’a pas le choix, que ses pleurs et ses angoisses n’y changeront rien.

Maintenant, Marie a vraiment peur de rentrer de l’école. Alors, elle reste le plus longtemps possible. Elle s’accroche au maître et lui pose des tas de questions pour reculer le moment d’enfourcher son vélo. Elle pédale de plus en plus vite pour échapper aux ombres et aux ogres tapis dans le sous-bois mais elle sent qu’elle est trop petite, qu’ils vont bientôt l’attraper, elle le sait.

Elle attend les vacances avec impatience. Il neige. Le froid lui fait mal aux mains et aux pieds. Les monstres savent bien qu’elle est faible et qu’elle ne pourra pas leur résister.

Les vacances sont là. Elle est sauvée. Elle adore Noël : il y a des lumières partout et ça sent bon le pain d’épices dans la maison. Et surtout, elle n’est plus obligée de traverser le bois toute seule. Elle passe ses après-midi dans sa chambre-bibliothèque à lire et à inventer ses vies futures. Elle sera écrivain, c’est sûr, ou jardinière ou chanteuse, sûrement les trois.

Ce soir, Madame Vincent n’est pas là. Elle est partie quelques jours pour voir sa famille qui habite loin, dans l’est. Monsieur Vincent et Marie l’ont accompagnée jusque sur le quai de la gare. Ils rentrent tous les deux et passent la soirée devant la télé. Elle a le droit de veiller un peu tard. Il est gentil, Monsieur Vincent. Sentant ses yeux se fermer, elle part se coucher dans sa chambre-cocon. Elle aime s’endormir parmi tous les livres. Elle n’entend pas la forêt, elle n’entend pas le vent qui hurle dans les branches.

Un bruit de craquement. Une respiration forte. Un ogre. Il a du réussir à faufiler son corps monstrueux sous la fenêtre. Elle retient son souffle. Elle essaie de disparaître. Avec ses grands bras, il fouille le lit à la recherche de son tout petit corps. Il a trouvé sa jambe. Elle sent ses griffes l’attirer vers le bord…

Quand il a fini, il lui dit de se taire, que c’est un secret.

Après Noël, elle retourne à l’école et traverse de nouveau la forêt. Mais quelque chose a changé, elle n’a plus peur des bruits des arbres. Elle sait désormais que les vrais monstres l’attendent dans sa chambre.


Consommez moins pour vivre mieux

Rhôôô ! Je suis drôlement contente de vous annoncer que mon livre (dont vous pouvez voir la couverture avec mon vrai nom et tout le toutim) va bientôt paraître (le 17 janvier 2019).

Rien à voir avec la fiction mais tout à voir avec la consommation.

J’espère qu’il y en aura un autre et encore un autre et qu’au moins l’un d’entre eux sera un roman (ou un recueil de nouvelles). Évidemment, je n’aurais sans doute plus la chance d’être éditée par une grande maison et peut-être devrais-je m’auto-éditer. En attendant, je profite.

PS1. ce n’est pas moi qui ai choisi le titre ni la couverture.

PS2. Je publierai bientôt la quatrième (de couverture) et encore après le sommaire.

l’amie perdue

Le thème de l’atelier dont est issu le texte ci-dessous était : L’ami.e perdu.e

Et il n’y a pas de fichier audio parce que je viens de mettre à jour mon wordpress et que je ne retrouve pas mes petits dans la nouvelle administration : pas pratique, moche et chiant. Ils auraient du se casser une jambe au lieu de pondre un truc aussi con !



Ça fait tellement longtemps qu’on se connaît toutes les deux que je ne sais plus vraiment quelles ont été les circonstances exactes de notre rencontre. Je me souviens d’un matin glacial, du vent contre lequel je devais marcher en direction du collège et presque immédiatement après de ta présence chaude et déjà douloureuse. Était-ce vraiment cette fois-là ou n’ai-je pas plutôt tendance à reconstruire le passé à partir de bribes de souvenirs épars ?

Ce dont je suis sûre, c’est de la réaction de ma mère lorsque je lui ai parlé de toi. Elle en était toute retournée. Beaucoup plus heureuse que moi. Elle m’a parlé de notre future cohabitation et de l’importance que celle-ci aurait, de cette amitié particulière destinée à accompagner toutes les grandes étapes de ma vie. Ce sont ses mots, pas les miens. Difficile à comprendre pour cette petite fille que j’étais encore, à 12 ou 13 ans, je ne sais plus. Elle voulait te rencontrer. Je ne lui en ai jamais accordé le droit. Notre relation était trop intime pour être partagée.

Nous avons eu des débuts difficiles. Tu étais parfois violente et récalcitrante. Tu adorais te faire désirer, gamine gâtée. Les années passant, tu es devenue une vraie compagne. Avec toi, j’ai appris la féminité et tous les trucs de filles qui vont avec : les déceptions, les doutes, les imprévus, les angoisses de dernière minute mais aussi les grands moments euphoriques quand finalement tu survenais.

Nous nous sommes doucement habituées l’une à l’autre. Nos rendez-vous sont devenus plus réguliers, toujours rassurants. Deux fois, je me souviens, tu as manqué à l’appel. Paniquée, j’ai du courir les hôpitaux pour te retrouver . Mais heureusement, ton absence à chaque fois a été de très courte durée (deux mois, je crois, tout au plus).

J’ai aimé ta présence toutes ces années, même si parfois tu arrivais sans crier gare. Certains de mes compagnons t’ont connue, d’autres pas. Aucun ne t’a véritablement aimée. Tu en as même effrayé un, je m’en rappelle, un samedi après-midi d’errance sexuelle. Je ne l’ai jamais rappelé cet idiot. Blanc comme un linge, on aurait dit qu’il avait vu la vierge !

Depuis quelques années déjà, tes visites se font moins régulières. Ça a commencé il y a 4 ans, un été. J’ai pensé alors que tu fuyais la chaleur. Cette année, j’ai bien cru que je t’avais perdue pour toujours. Et puis non, faiblarde mais toujours vaillante, tu as pointé ton museau un matin de juillet. Je sens bien que tu t’étioles et que nos têtes-à-têtes sont de plus en plus courts. C’est difficile pour moi de te perdre toi, la garante de ma féminité, tour à tour honnie et adorée.


un souvenir d’enfance

Voici une petite nouvelle écrite, elle aussi,  dans le cadre de l’atelier que j’ai suivi avec Martin Winckler.

Le thème : Écrivez votre meilleur souvenir d’enfance mais raconté par une autre personne (qui a assisté à la scène).

Un petit commentaire si vous en voulez encore (ça m’encourage grave !).

 


‘enfance

Le jour où…

Je ne sais pas pourquoi vous voulez savoir tout ça. Marie aurait très bien pu vous les raconter elle-même, ses souvenirs. Je suis une vieille femme. J’ai la mémoire sélective…

Pourtant, je me souviens très bien d’une journée en particulier. On me l’avait déposée le matin, je ne sais plus pourquoi. Elle devait gêner pour une raison ou pour une autre ; c’était peut-être le jour où ils ont déménagé. Je ne sais plus exactement. C’est loin tout ça.

Je l’aimais bien cette gamine. Elle n’était pas comme les autres enfants qu’ils ont eus. Elle passait son temps à lire allongée dans l’herbe, au fond du jardin. Ce jour-là, il faisait beau. Elle était derrière la maison. Elle ne devait pas avoir plus de 4 ans. Je l’entendais rigoler, je me suis dit qu’elle devait être avec le petit voisin. J’avais préparé des madeleines pour le goûter.

En me penchant par la fenêtre pour les appeler, je me suis aperçue qu’elle était seule. Elle s’amusait à courser les papillons avec son petit vélo rouge. Une idée m’a traversé l’esprit. J’allais sûrement m’en mordre les doigts mais voilà, il fallait qu’elle sache. Et il le fallait aujourd’hui !

J’ai lâché les madeleines. Je suis descendue à la cave pour chercher les outils de mon défunt mari – je me souvenais qu’il en avait une caisse pleine quelque part dans le capharnaüm qui lui servait d’atelier. Lorsque je suis remontée, je devais avoir l’air de quelqu’un qui veut en découdre parce qu’elle a stoppé tout net de pédaler et elle me regardait d’un air grave.

– Marie, viens voir par ici que je te montre quelque chose.

Elle a immédiatement pris l’air de celle qui a fait une bêtise. Il faut dire qu’elle en faisait souvent à cette époque. Elle est arrivée mi souriante mi penaude, ne sachant pas ce qui allait lui tomber sur le coin du nez.

J’ai empoigné son vélo, l’ai retourné d’un coup et ai commencé à farfouiller dans la vieille caisse. J’ai finalement réussi à trouver ce dont j’avais besoin. En deux coups de clefs, je les ai enlevées et lui ai remis le vélo dans les mains.

– Maintenant, vas-y, remonte et pédale, lui ai-je ordonné.

Ella a grimpé sur la selle, très confiante, a décollé un pied du sol en appuyant sur la pédale de l’autre côté. Ça n’a pas loupé, à peine avait-elle fait un mètre qu’elle est tombée.

– Recommence !

Vaillante, elle est remontée sur le vélo et est retombée encore plus rapidement.

– Attends, je vais te tenir un peu mais il faut que tu pédales, vite.

Elle a murmuré un tout petit « oui » mal-assuré. Je l’ai tenue pendant deux ou trois mètres en m’efforçant de courir à côté, puis je l’ai lâchée. Elle s’est affalée de tout son long sur le vélo. De petites larmes pointaient mais elle n’a rien dit à part le mot magique : Encore !

On a recommencé tout l’après-midi. Je me souviendrais toute ma vie de sa joie quand elle est enfin parvenue à faire quelques mètres sans mon aide. Au bout de deux heures, j’étais en sueur et elle était pleine de bleus et d’écorchures. Enfin, elle savait.

Nous sommes rentrées pour dévorer les madeleines. Elle n’en finissait pas de me raconter ses exploits.

Je savais qu’ils allaient m’enguirlander mais j’avais fait ce que je devais faire. Je n’ai jamais eu d’enfant alors j’ai gravé cet après-midi en moi : son rire surtout et ses petites larmes, aussi.

atelier d’écriture

Je participe actuellement à un atelier d’écriture à distance avec Martin Winckler. Le principe est simple : toutes les semaines, il nous envoie (nous sommes une dizaine d’élèves) un thème et nous devons rédiger une nouvelle de 3000 signes environ. Il nous la renvoie avec ses commentaires et des pistes d’amélioration.

L’atelier touche à sa fin. Je vais devoir renvoyer la dernière nouvelle (plus longue cette fois-ci) ce week-end.

Nous avons pu nous appeler et j’avoue qu’il a débloqué en moi pas mal de choses. Le thème général de l’atelier est l’autofiction et je me suis aperçue que ce n’est pas si facile que ça parce que, jusqu’à ce qu’on discute, je prenais le problème à l’envers. J’étais complètement coincée par le fait d’écrire des choses vraies (ou vraies, selon moi), de coller le plus possible à la réalité telle que je l’avais vécue. Et ça m’empêchait littéralement d’écrire.

Depuis cette conversation (par delà l’océan parce que Martin (Marc) habite au Québec), je trouve que j’écris beaucoup plus librement.

Le blog littéraire de Martin Winckler et son blog médical.

Du coup, j’ai décidé de poster ici quelques uns des très courts textes que j’ai écrits pour l’atelier – ceux que je préfère.

Voici le premier (vous pouvez écouter la version audio si vous préférez).

Dites-moi si vous en voulez d’autres.


un père

Un père

J’ai toujours détesté ma mère.

Cette maison n’est pas ma maison. C’est la sienne. Lorsque les gendarmes ont appelé pour me demander de venir la vider, j’ai appris du même coup que ma mère était morte… depuis plus de deux semaines. Elle a encore trouvé le moyen de m’emmerder. J’ai autre chose à faire que d’aller en Normandie pour jeter ses affaires. Ils se sont occupés des chats, c’est déjà ça. Ça sent encore la pisse et je suis contente d’avoir pensé à amener des masques. Il va falloir qu’on fasse pas mal d’aller-retour jusqu’à la déchèterie et puis qu’on nettoie de fond en comble. Il y en a pour au moins 4 jours.

Ce matin, alors que je suis en train de déblayer le grenier, je tombe sur une grosse boite en fer. Je ne sais pas pourquoi, j’ai envie de voir ce qu’il y a à l’intérieur avant de la jeter. Je force un peu, le cadenas rouillé ne résiste pas longtemps : des lettres, beaucoup de lettres.

J’en prends une au hasard. L’écriture est serrée, pointue, décidée.

Claudine ma belle,

Tu ne réponds plus. Je suis très inquiet. Ton dernier mot date d’il y a trois mois. Que se passe-t-il ? Donne-moi des nouvelles, je t’en prie. Ne me laisse pas sans savoir. Même si tu as décidé de ne plus me voir, même si tu en aimes un autre. Je t’en prie, je suis au supplice.

Ton Pierre qui t’aime follement.

On distingue vaguement le cachet de la poste : 4 novembre 1970. Avant ma naissance. Juste avant ma naissance.

J’en pioche une autre. Ce n’est pas la même écriture.

Mon amour,

Cette soirée au théâtre m’a ravi. Tu as été formidable ; les autres ne t’arrivent pas à la cheville. Tu dois impérativement me rejoindre à Paris. C’est là que ton art pourra s’exprimer sans contrainte. Tu gâches ton talent avec cette petite troupe de province. J’en ai discuté avec Jules Briare, le metteur en scène dont je t’ai parlé. Il est tout prêt à t’accueillir. Bien sûr, tu commencerais par de petits rôles mais avec un peu de travail, je suis sûr que les plus grandes salles te sont promises.

Je me languis de toi, mon aimée.

Victor

Je n’en crois pas mes yeux. Ma mère, au théâtre ? Comment cette femme grise et éteinte a-t-elle pu un jour être comédienne. La lettre est datée de juillet 1970.

Mon cœur s’emballe. Je n’ai jamais su qui était mon père. Elle a toujours refusé de me dire quoi que ce soit à ce sujet. Petite j’insistais mais ça la mettait dans de tels états que j’ai assez rapidement arrêté de demander.

Serait-il possible que mon père soit l’un de ces deux hommes ? Les dates collent. Je fourrage de plus belle dans les lettres, j’en choisis une autre : même période, écriture différente. C’est encore une lettre d’amour : sans doute un ouvrier, il s’appelle Blaise. La lettre a été postée dans le Berry. Des fautes et des ratures partout, un dessin maladroit. Il vante sa longue et libre chevelure alors que je l’ai toujours connue les cheveux très courts.

Je ne peux plus m’arrêter de lire maintenant. J’entends vaguement Jean qui s’active dans les étages inférieurs. Il n’y a que trois écritures différentes : Pierre, Victor et Blaise. Je fais trois tas. Je les classe par date : il n’y a aucun doute, mon père est l’un des trois.

Je recommence à lire mais dans l’ordre cette fois. Qui est donc cette jeune femme ? Elle ne ressemble en rien à la mère que j’ai subie. Au fil des lettres, je la découvre libre et enjouée, pleine d’espoirs pour l’avenir, ambitieuse et amoureuse. Comment se peut-il que ma mère ait pu inspirer autant de passion ? Je ne lui ai jamais connu d’amant.

Plus je lis, plus je pleure parce que je commence à comprendre ; c’est ma naissance qui a stoppé ce bel élan de vie. C’est ma naissance qui a transformé cette jolie fille en vieille femme dure et sèche. C’est cette charge, ce bébé non désiré qui l’a obligée à enfouir ses rêves dans cette grosse boite en fer.

Jean s’est précipité en haut parce que j’hurle. J’hurle et je pleure. Je me roule par terre au milieu de toutes ces lettres. J’hurle parce que je me fous de ce père inconnu. J’hurle parce que, 50 ans après, je viens enfin de rencontrer ma mère.