même pas peur

Artistic work of painting representing salsa and bachata dancing croud night entertainment (source Getty images)

J’aimerais bien vous raconter mes aventures romanesques et mes amourettes sans importance mais bon, comment vous dire ça simplement : y’en a pas !

Je suis en pleine traversée du désert sentimental mais je vais plutôt bien. Comme si j’étais en train (en vrai) de me réapproprier ma vie. C’est fou parce que ça ne devrait pas. Sur le papier, ça ne paraît pas foufou : je suis de nouveau à Nevers, je suis au chômage (enfin, je ne gagne toujours plus ma vie avec mon activité professionnelle), je n’ai pas de mec et pas l’ombre d’un intérêt sexuel pour quiconque (à part pour Melvil Poupaud et Pio Marmaï mais ça ne compte pas), j’habite dans un studio de 15 m2 sans jardin, je n’ai même pas de chat et en plus, il caille grave…

Sur le papier donc, je devrais voir la vie en noir sombre. Sauf que, comment dire, je vais carrément bien. Je dirais même que j’aime de nouveau ma vie. Dingue ! J’en suis la première surprise.

La dernière fois que j’étais dans cet état mental, j’étais à Bordeaux et je vivais dans des conditions qui n’étaient pas du tout les mêmes. La seule chose en commun entre ces deux moments de ma vie, c’est que je n’avais pas de mec. Je n’irais pas jusqu’à dire que ceci explique cela mais quand même, ça me pose question…

Pour vous dire à quel point je me sens de mieux en mieux, j’ai commencé une nouvelle activité. Ça m’a pris un peu d’un seul coup. J’ai passé un coup de fil et paf ! Je me suis retrouvée le premier mercredi de janvier dans une salle avec d’autres personnes à essayer de lutter contre ma répulsion naturelle à être touchée par des gens que je ne connais pas.

Je vous vois venir : non, je n’ai pas commencé les partouzes ! En fait, depuis le 5 janvier, je passe mes mercredis soir à danser la Bachata. Et franchement, ce n’était pas gagné que j’aime ça ! Pour tout vous dire, c’était même le contraire. OK, j’adore danser depuis toujours (en soirée, je peux facilement danser pendant 2 ou 3 heures d’affilée). Mais je déteste qu’on m’impose quoi que ce soit à ce niveau, que ce soit des mains sur mon corps ou des pas imposés (je hais carrément les bals trad pour cette raison).

Donc là, on partait très très mal : c’est l’homme (ou la personne qui joue ce rôle) qui guide et qui indique à sa partenaire ce qu’elle doit faire, on danse très très (je vais en mettre un autre) très près l’un de l’autre, avec des figures très codifiées et le premier monsieur avec qui j’ai du danser s’était apparemment lâché sur les oignons et soufflait pas mal en comptant ses pas (merci le masque mais tu pourrais quand même mieux faire ton boulot, pfff). Sauf que j’y suis retournée la semaine suivante et encore celle d’après…

Je suis en plein franchissement des limites de ma zone de confort ; je suis gênée aux entournures et pas qu’un peu (genre hier soir, un gars m’a quand même dit « laisse-toi faire », ce à quoi j’ai répondu « évite de dire ce genre de choses à une femme, quand même, c’est limite ») mais quand je sors de la salle à 21h, dans le froid et la pluie, je suis heureuse.

Bon, je vous mets quand même une vidéo de Bachata (ah oui au fait, je n’aime même pas ce genre de musique) pour que vous vous rendiez compte de ce à quoi la chose devrait ressembler (bon, avec le groupe, on n’en est pas là, hein ! – on ne s’embrasse pas à la fin) :

Je mesure l’étendue des limites que je vais devoir encore franchir. Souhaitez-moi bon courage les amishes !

la haine des pigeons

Je ne me souviens plus d’où vient cette image, crotte de bique.

A chaque fois que je suis amenée à parler « pigeon » avec quelqu’un – ce qui n’arrive pas tous les quatre matins, je le concède – la personne en face de moi me raconte sa haine, sa détestation, son dégoût des pigeons.

Certains les nomment les rats des airs, d’autres les trouvent cons comme la lune… Bref, la plupart du temps, ils n’ont pas bonne presse.

Alors oui, ils font caca partout mais s’ils ont colonisé nos villes c’est parce que nous, les humains, leur donnons à manger dans nos poubelles.

Si vous habitez Paris – même si vous ne faites qu’y passer, d’ailleurs – et que vous vous retrouvez pas loin d’un parc (une simple plate-bande suffit) à la tombée de la nuit, vous pourrez voir des dizaines de rats sortir d’en dessous, se glisser dans des anfractuosités cachées et escalader les poubelles pour s’y nourrir. Ils ont investi nos villes parce que nous les nourrissons. Brrr, j’en ai froid dans le dos !

Mais revenons à nos pigeons ! Sont-ils idiots ? A priori, le fait de choisir de vivre dans des endroits avec un accès illimité à la nourriture n’est pas complètement absurde. Ils font comme nous (et comme les rats d’ailleurs). En fait non, ils font même mieux que nous puisque, jusqu’à preuve du contraire le béton, le bitume et le verre n’ont aucun pouvoir de création de nourriture… Et pourtant nous nous y entassons.

Ensuite, moi je les trouve plutôt placides et de bonne composition. Ils évoluent tranquillement par terre et se poussent juste assez pour que nous puissions passer sans leur marcher dessus. Ils roucoulent à qui mieux mieux quelle que soit la météo et ils ne sont pas agressifs, à part dans les hallucinations de ma grand-mère.

Là, il faut que j’explique évidemment pourquoi ma grand-mère voue une véritable haine aux pigeons. Il y a une trentaine d’années (mon grand-père vivait toujours), elle s’est mise à prendre beaucoup mais alors beaucoup trop de médicaments pour dormir. Son « médecin » (je mets entre guillemets ce mot parce que, vu ce qui suit, on peut douter de ses compétences professionnelles) lui avait prescrit des somnifères et lui avait dit qu’elle pourrait augmenter la dose régulièrement au fur et à mesure de l’affaiblissement de leurs effets au cours du temps. Oui, c’est dingue de dire à un patient de régler lui-même la posologie d’un psychotrope, comme ça tranquillou billou, mais voilà, ce monsieur n’en était ni à sa première ni à sa dernière « bourde » (il n’a jamais été inquiété par le conseil de l’ordre, ni par la sécu, ni par aucun patient à qui il prescrivait une pleine page (parfois deux) de médicaments à chaque consultation). Oups !

Vous vous en doutez déjà, il est arrivé ce qui devait arriver : ma grand-mère est devenue accro aux somnifères et aux antidépresseurs (parce qu’il lui avait évidemment prescrit les deux, en plus de tous les autres médicaments pour ci ou ça qu’elle avalait tous les jours). Et un jour, elle s’est mise à avoir des hallucinations, nous racontant que les pigeons (voilà, j’y reviens) voulaient lui picorer les yeux et qu’ils la guettaient quand elle sortait.

A l’hôpital, ils ont pudiquement mis un mouchoir sur ce cas manifeste de grand n’importe quoi thérapeutique et sur le fait que son médecin avait transformé cette ménagère de plus de 50 ans en junkie, en disant qu’elle avait malheureusement fait (tenez-vous bien) un empoisonnement du sang par les médicaments. Mais qu’est-ce que c’est que cette expression de merde crotte de bique ?

Ils l’ont sevrée. Elle a arrêté de prendre ces médocs à la con inutiles dans son cas. Elle est redevenue la grand-mère normale (enfin, normale comme elle l’était avant c’est-à-dire névrosée et caractérielle) que je connaissais depuis ma naissance et tout le monde a oublié cette histoire (sauf moi, apparemment). Depuis, elle en a gardé une haine des pigeons – et dans son cas, c’est bien compréhensible – mais pas de son fameux médecin qu’elle a gardé jusqu’à ce qu’il parte en retraite parce qu’elle le trouvait gentil. Mais woui mais ma pauv’ dame, la gentillesse ça ne fait pas tout et en matière de compétences médicales et ce n’est pas forcément un gage de fiabilité (même s’il est vrai qu’il est quand même plus agréable de consulter des professionnels de santé aimables et cordiaux).

Tout ça pour dire que moi, j’aime bien les pigeons parce que je trouve qu’ils ont tout compris à la vie : ils ne se plaignent jamais, ils aiment bien se faire des câlins les uns les autres, ils chantent dans le vent glacé (comme tous les oiseaux, Dominique A) et ils se sont adaptés aux conditions de vie difficiles que nous leur avons imposées.

Chapeau le pigeon (mais enlève quand même cette fichue feuille si tu ne veux pas te prendre un mur) !

pomme est amoureuse

Pomme (mais j’aurais pu tout aussi bien l’appeler Myrtille, Framboise ou Clémentine) a 17 ans et elle est amoureuse pour la première fois.

Elle n’est pas amoureuse du garçon qui l’a ramenée hier matin en voiture après une semaine de sexe et de pains au chocolat dans sa caravane.

Elle n’est pas amoureuse non plus de celui qui a tenté vainement de la « déflorer » (comme c’est désuet) l’été dernier ou de celui qui lui écrit des poèmes depuis le début de l’année scolaire. C’est mignon mais quelle barbe !

Non ! Pomme est amoureuse d’Ébène (qui aurait pu se nommer Santal ou Mimosa, lui aussi). Ils se sont percutés à la sortie du self. Son incisive inférieure gauche n’a pas résisté au choc de la rencontre (il faut dire qu’il portait encore son casque – ben oui, il fait de la moto). Elle l’a senti se fendre dans la largeur.

Depuis elle s’empêche de sourire (une dent cassée, la honte !) même si ses copines et sa mère disent que ça ne se voit pas. Depuis, elle le piste dans les couloirs. Parfois, elle se doute qu’il est juste derrière elle alors elle ne se retourne pas de peur qu’il la remarque.

De loin, elle le voit fumer sous le préau (oui, cette histoire se déroule à un moment où on avait le droit de fumer dans les cours des lycées). Avec ses potes, ils squattent toujours le même banc, le cinquième en partant du hall – celui qui est le plus proche des ateliers. Il est dans une section technique, elle est une littéraire.

Florence (Sandrine, Stéphanie ou Céline) lui a dit que le meilleur pote du cousin de son voisin le connaissait… Il paraît qu’il préfère la mécanique aux filles. Il paraît qu’il habite Fontainebleau. Il paraît que sa mère est en HP. Il paraît qu’il ne boit jamais d’alcool…

D’habitude si enjouée, rentre-dedans et lumineuse, Pomme est déconcertée. Elle lui est manifestement invisible. Elle ne fume pas, ne connaît rien à la mécanique, ne sait pas où se trouve Fontainebleau. Leur seul point commun, c’est leur manque d’appétence pour la boisson.

Laurent (Cédric, Fabien ou Christophe) l’a invitée à son anniversaire. Elle y va avec sa troupe de copines. Elle trouvera bien un garçon avec qui passer la nuit… Sa mère s’en fout. Elle se fout de tout sauf de sa moyenne générale. En plus, elle sera d’astreinte cette nuit.

La fête bat son plein et elle danse comme une folle. Depuis un bon quart d’heure, elle échange des œillades avec un gars de terminale. Blond aux yeux bleus, le BCBG classique avec un polo pastel, un pull sur les épaules et des mocassins. Le genre de type facile à emballer. Sophie (Catherine, Christine…) lu a dit qu’il était en term’ et qu’il s’appelait JB. Il est parfait pour finir la soirée.

Sauf qu’Ébène se matérialise miraculeusement à côté d’elle deux minutes avant qu’elle passe à l’attaque. Sauf qu’Ébène lui dit que c’est drôlement mignon, cette petite dent du bas cassée. Sauf qu’il lui prend la main et l’entraîne sur la piste.

Alors Pomme enferme à double-tour ses angoisses de n’être pas assez ou trop quelque chose et sourit de toutes ses dents à ce bel inconnu qui va devenir, elle en est sûre, son grand amour.

Dans quelques semaines, elle deviendra une moitié du duo « Ébène et Pomme » et puis très vite, elle sera « la meuf d’Ébène ». Plus la moitié mais l’assistante. Un jour, on l’appellera Madame ou Maman. Elle mettra des années encore à se sevrer de ses yeux si noirs et de ses cheveux si doux… et ce sera déjà la fin.

tiens, encore une

J’ai participé au premier concours de nouvelles de la ville de Boé. Et puisque je n’ai pas été sélectionnée parmi les lauréat.es, vous pouvez lire ma production ci-dessous.

Je me suis vraiment amusée à écrire quelque chose qui ne ressemble pas à ce que j’écris pour un public ado (ce n’était pas dans les consignes du concours mais j’avais envie).


Tiens, encore une !

Vanille se leva de mauvaise humeur. Elle avait très mal dormi. Soso n’avait pas arrêté de feuler contre un ennemi imaginaire. Il avait fallu qu’elle la chasse de la chambre pour réussir à retrouver un peu de calme et mine de rien, ça l’avait contrariée – qu’elle aille au Diable, cette maudite chatte !

Aujourd’hui, elle fêtait son quinzième anniversaire et la journée promettait d’être horriblement longue étant donné qu’elle avait eu l’interdiction formelle d’inviter ses copines et de sortir de la maison. La famille avait parlé d’une seule voix et si elle avait bien appris quelque chose ces quinze dernières années, c’était qu’elle n’avait vraiment aucune chance de gagner face aux trois autres.

Lorsqu’elle descendit de son antre sous les toits, prête à tirer une tête de six pieds de long pour bien signifier toute l’étendue de son désaccord, son téléphone se mit à vibrer dans la poche de son jogging. Sûrement Laura qui voulait être la première à lui souhaiter son anniv’ – sauf que, dommage Laura, Bastien l’avait devancé en lui envoyant un sms à minuit une ! Alors qu’elle sortait son téléphone pour répondre, elle se prit les pieds dans la carpette (mais quelle idée stupide de mettre des tapis partout !) et dévala les vingt marches et des poussières, sur les fesses, jusqu’au matelas de Lady Carla (le bichon frisé adoré de sa grand-mère).

Réveillée en sursaut par tout ce bruit, la fameuse Lady ne trouva alors rien de mieux à faire que de lui mordre l’avant bras. La journée commençait sur les chapeaux de roue.

A la place de son bol de chocolat chaud habituel, Vanille trouva sur la table de la cuisine une tasse remplie d’une mixture pas très ragoûtante.

« – Nan mais là, c’est une blague. Maman ?! Maaaaaaaaman ?! C’est quoi le truc sur la table ?

– C’est pour toi, c’est du Breuch.

– Hein ?!

– Du Breuch, un mélange de plantes. C’est un breuvage traditionnel qu’on sert aux jeunes filles pour leur quinzième anniversaire. »

Vanille avança doucement son nez de la tasse. Décidément, sa mère devenait de plus en plus zarbi avec les années. Du Breuch ? Elle n’avait jamais entendu parler de ça. Laura, qui avait fêté ses quinze ans depuis déjà deux mois, n’aurait sûrement pas manqué de le lui raconter si elle avait été obligée de boire un truc aussi dégueu.

« – Oh, put*, purée de pois mais c’est quoi cette odeur de pourri ? Il n’est absolument pas question que j’avale ça. No way ! »

Constance se rapprocha de sa fille et lui chuchota alors que la boisson avait été préparée par mémé Victoire et qu’elle serait très vexée si elle ne l’avalait pas. Sans compter que si elle refusait de le boire, elle n’aurait pas ses cadeaux.

« – Allez Vanille, fais plaisir à mémé. Bouche-toi le nez. Tu verras, ça passe tout seul. »

La jeune fille réprima un haut-le-cœur, s’imagina le nouvel Iphone qui devait l’attendre tranquillement dans sa boîte et engloutit l’immonde tisane sans moufter.

Victoire et Constance applaudirent des deux mains en poussant des houhou, ce qui fit apparaître Marie-Louise à la porte de la cuisine.

« – Que se passe-t-il ?

– Rien de spécial, Vanille a bu son Breuch, lui rétorqua Constance.

– Non mais flûte alors. Nous nous étions mises d’accord : nous devions être toutes auprès d’elle pour chacune des étapes. Vous auriez pu m’attendre tout de même ! »

Vanille roula des yeux parce qu’un petit détail de ce que venait de dire sa grand-mère ne lui avait pas échappé.

« – Euh, des étapes ?! C’est quoi ce gros délire ? Ne me dites pas que je vais devoir avaler d’autres trucs infâmes ! »

Les trois femmes alignées devant elle baissèrent les yeux. Le silence se fit tellement épais que Vanille eut l’impression d’entendre les remous de la Garonne, pourtant située à deux cents mètres de la maison.

« – Bon, bon, bon. Je vois que vous êtes toutes bien courageuses ce matin. Vous savez quoi ? Je vais aller me doucher et quand je ressortirai, faudra qu’on cause ! » Sur ce, elle sortit de la cuisine en claquant la porte.

La douche lui fit le plus grand bien. Alors qu’elle se séchait les cheveux, elle se dit qu’elle avait peut-être été un peu dure avec les trois femmes qui constituaient la totalité de sa famille. Après tout, elles avaient toujours été là pour elle. Peut-être même qu’en fait, elles lui avaient préparé une grosse surprise et qu’elles avaient invité tous ces amis en douce. Lorsqu’elle sortit, elle avait retrouvé sa bonne humeur habituelle et ne leur en voulait déjà plus pour ce début de journée difficile.

Cependant, en rentrant dans la cuisine, elle s’aperçut que ses belles hypothèses étaient peut-être erronées puisqu’elles affichaient leur tête « l’heure est grave ». Pendant deux secondes, Vanille se dit qu’elles étaient bonnes comédiennes même si elle n’avait jamais eu l’occasion d’admirer ce talent caché jusqu’à présent.

Son arrière grand-mère toussota puis lui demanda de s’asseoir d’une voix qu’elle voulait grave mais qui dérapa inexorablement vers les aigus.

« – Vanille, il faut qu’on te parle. »

Du plus vite qu’elle put, elle scanna mentalement toutes les bêtises qu’elle avait fait ses derniers temps mais aucune ne lui parut mériter ce genre de conseil de famille.

« – Oui, il faut qu’on te dise quelque chose de grave, qui nous concerne toutes.

– Je vous écoute, mais qu’est-ce qui se passe enfin ? Vous êtes malades, c’est ça ? Vous allez mourir ?

– Non Vanille, personne ne va mourir. Enfin si évidemment mais pas tout de suite. Ce que nous avons à te dire n’est pas tellement facile à expliquer.

– Mais vas-y mémé, go, go, je t’écoute.

– Alors ce que mémé veut te dire c’est que… », commença sa mère mais elle fut interrompue par la sonnette.

Alléluia pensa Vanille. En fait, c’était vraiment une blague et là, c’est Laura et les potes qui débarquent.

Elles se levèrent toutes comme un seul homme (enfin, une seule femme, en l’occurrence) et elles se précipitèrent à la porte.

Elle décida de resta assise, dos à la porte, se préparant à afficher son air le plus surpris possible quand Laura lui mettrait les mains sur les yeux en criant « Qui c’est ? ». 

Mais évidemment, ce n’est pas du tout ce qui arriva. A la place, sa mère déposa sur la table une poule morte, même pas plumée, avec la tête et tout le reste. 

« – Alors voilà, c’était l’élément qui nous manquait pour la cérémonie, lâcha sa mère.

– OK d’accord, donc vous êtes devenues folles. Une cérémonie ? Non mais faut pas vous embêter pour moi, hein ! Vous me donnez mon Iphone et hop, ça s’arrête là. Pas la peine de faire votre ciné, là. 

– Vanille, tu vas devoir m’écouter maintenant.

– Mais maman, je ne fais que ça depuis ce matin. Mais c’est vous là, zarbis comme tout avec vos trucs.

– Tu vas devoir couper la tête de ce coq et la plonger dans le chaudron qui est derrière la maison. On a déjà préparé tous les autres ingrédients mais le coq, il faut absolument que ce soit toi. » Elle avait dit ça d’une seule traite.

Vanille n’en revint pas. Un vrai cauchemar !

« – Nan mais c’est quoi ce délire ? Jamais je ne toucherai ce truc mort. »

Sa grand-mère prit la parole :

« – Et pourtant Vanille, tu vas devoir nous obéir. Nous sommes toutes passées par là le jour de nos quinze ans.

– Ce qu’on veut te dire Vanille, c’est que tu n’es pas une ado comme les autres, que nous ne sommes pas des femmes comme les autres, compléta son arrière grand-mère.

– Hein ?

– Vanille, nous sommes des sorcières ! »

A partir de ce moment-là, elles se mirent toutes à parler en même temps. Tout se brouilla dans la tête de Vanille. Elle regarda le coq une dernière fois, ressentit une sorte de nausée et tourna de l’œil.

Quand elle reprit connaissance, elle avait visiblement été transportée dans le salon. Elle crût alors qu’elle avait fait un mauvais rêve mais sa grand-mère, d’un geste de la main, lui interdit de parler.

« -Vanille ma belle. La cérémonie n’a pas changé depuis des centaines d’années : apprendre la formule, couper la tête du coq, la plonger dans le chaudron, boire une tasse du bouillon. Aucune d’entre nous n’a voulu que tu soies comme nous mais c’est ainsi. Cette filiation peut te paraître très lourde à porter, surtout au début, mais un jour tu la considèreras comme une chance. Après la cérémonie, tu auras le pouvoir de changer le cours de certains événements, tu pourras soigner des gens, comprendre ce que te disent les animaux. Bref, tu verras, tu t’habitueras… Mais pour l’instant, il faut que tu me promettes de faire tout ce qu’on te dira de faire, sans protester.

– Mais…

– J’ai dit « sans protester ».

– Je peux au moins poser une question ?

– Oui bien sûr ma puce, lui répondit gentiment son arrière grand-mère.

– Si je ne veux pas devenir comme vous, si on oubliait tout ça, qu’est-ce qui se passerait ? »

Un voile sombre s’installa dans les yeux de sa mère quand elle lui répondit gravement :

« – Si tu refuses de rejoindre la congrégation, nous ne pourrons pas te sauver. Toutes celles qui s’y sont opposées ont été bannies. Nous ne les avons jamais revues. »

Alors Vanille suivit exactement les consignes que lui donnèrent sa mère, sa grand-mère et son arrière grand-mère. Elle coupa la tête de ce maudit coq, apprit consciencieusement les quinze phrases de la formule magique et but une tasse de l’horrible soupe du chaudron.

Lorsque ce fut fait, les trois femmes l’accompagnèrent au bout du jardin et la firent asseoir sur la souche de chêne qui se trouvait là depuis des temps immémoriaux. Elles se placèrent autour d’elle et ensemble, elles commencèrent à réciter la litanie qui ferait de Vanille la dernière sorcière de sa lignée, jusqu’à ce qu’elle devienne mère à son tour.

Et, alors qu’elles prononçaient le dernier mot de la formule, dans Boé village, une onde de choc secoua brutalement le cours de la Garonne.

Soso la chatte se réveilla brusquement et pensa : « Tiens, encore une ! », puis elle se rendormit profondément.

c’est l’amour à la plage

Photo by Luis Villasmil on Unsplash

Alors effectivement, je le revis mais pas du tout comme je l’avais prévu. Je m’étais imaginée que je le recroiserais facilement le lendemain au café du coin de la rue. Dans mes fantasmes, je le voyais penché sur le percolateur à moitié éventré en train de jurer en espagnol – et évidemment, j’arrivais pile poil pour l’aider à réparer l’instrument de malheur. Pour me remercier, il me payait un café et nous passions un bon moment tous les deux à baragouiner en franco-espagnol en nous dévorant des yeux. Bien entendu, conquis par mon charme naturel, il insistait pour me raccompagner et m’embrassait fougueusement sur le pas de la porte…

Ouais, ouais, ouais ! Sauf que ma vie ne ressemble pas du tout à un roman à l’eau de rose.

Cela faisait trois jours que j’étais arrivée à Santiago et je commençais à en avoir marre de traîner devant le café avec l’espoir de tomber « par hasard » sur Paulo (il fallait bien que je lui donne un nom, à mon beau brun). Ce jour-là, j’avais donc décidé de commencer à explorer le Chili et Valparaiso me semblait une bonne option. J’avais réservé une place dans un bus climatisé (je précise parce que c’est important pour la suite) qui partait très tôt le matin et revenait tard le soir. Avant de partir, je vérifiai le contenu de mon petit bagage pour la journée : liseuse, gourde, chapeau, crème solaire, lunettes, tongs. C’était parfait pour ma première journée de découverte et de baignade dans le Pacifique.

Alors effectivement, le bus était climatisé ! Mais à ce point, ce n’est plus de la climatisation, c’est de la congélation. Les autres passagers me regardaient comme si j’étais la dernière des idiotes. Nan mais l’autre là, à quoi elle pense !? Elle n’a même pas pris sa doudoune pour aller à la plage. Autant vous dire que les 3 heures de trajet ont été un plaisir sans nom. Sans compter que les toilettes du bus étaient « fuera de servicio » et que j’avais, comme d’habitude, avalé 3 cafés avant de partir. Quand le bus s’est arrêté à Valparaiso, sur le front de mer, j’étais totalement tétanisée et n’avais qu’une seule idée en tête : pisser ! Alors j’ai jailli telle une gazelle en poussant tout le monde dans le couloir du bus et me suis précipitée dehors sans regarder où j’allais.

Et… j’ai très mal atterri : la tête la première sur le trottoir et le pied emprisonné dans la bandoulière d’un p**** de sac qui traînait au milieu du chemin. Mais le pire, ce n’est pas ça. Non.

Le pire, c’est que dans ma chute, j’ai également perdu un truc très important : le contrôle de ma vessie. Et là, j’ai appris une leçon que toute voyageuse qui se respecte se doit de connaître : on ne porte jamais de bermuda beige en coton !

Alors je résume un peu la situation : j’étais au bout du monde, le visage en sang (l’arcade, ça saigne grave) et je m’étais pissé dessus. La classe ! Les gens autour de moi se répartissaient en deux groupes : ceux qui rigolaient et ceux qui étaient désolés pour moi. Je ne comprenais pas un traître mot de ce qu’ils racontaient mais une gentille dame d’un certain âge et sa fille (je suppose) m’ont aidée à me relever et m’ont accompagnée jusqu’à une sorte de pension de famille. J’étais bien sonnée et je ne voyais plus bien clair mais lorsqu’il a ouvert la porte, je n’ai eu aucun mal à le reconnaître.

Les deux femmes sont parties en me laissant là, sur le pas de sa porte. Il a esquissé un grand sourire, m’a détaillée de haut en bas et m’a fait signe d’entrer. Je ne sais pas si j’avais déjà eu aussi honte de ma vie ! J’aurais voulu disparaître, m’effacer, retourner dans mon pays et les bras de Paul, retrouver son absence total d’humour et son haleine de cheval du matin. Mais j’étais là, incapable de bouger le petit doigt. Alors j’ai fait la seule chose dont j’étais capable ; je me suis mise à pleurer comme une madeleine.

Il m’a pris par la main et m’a conduite au premier étage. Il a ouvert la porte d’une grande salle de bain et m’y a poussé doucement en me faisant signe d’attendre. Il est revenu avec des serviettes, un tee-shirt, une sorte de paréo et une petite boite de secours. Il a pris tout son temps pour nettoyer ma plaie et essuyer mes larmes.

Après la douche, il m’a fait un café et nous avons essayé de discuter mais ni lui ni moi ne parvenions vraiment à nous faire comprendre. J’étais morte de honte mais lui, bizarrement, n’avait pas l’air impressionné – comme si les filles pleines de sang, de larmes et de pipi, c’était son quotidien.

J’ai pris congé en le remerciant comme je pouvais. J’ai griffonné mon prénom et mon adresse chilienne sur un bout de papier et je suis partie à la plage. Je serrais dans ma main sa carte de visite (Jorge Muñoz) – il fallait quand même que je lui renvoie ses affaires. J’étais certaine que je ne le reverrais jamais parce qu’un gars comme lui devait avoir le choix des filles. Le moins qu’on puisse dire, c’est que niveau séduction, je n’avais pas mis toutes les chances de mon côté ce jour-là.

Avant de reprendre le bus dans l’autre sens, je suis allée acheter un plaid dans une boutique de décoration histoire de ne pas revivre l’horreur polaire de l’aller.

Ce n’était pas le même bus, les toilettes fonctionnaient parfaitement et la clim’ était réglée sur 23°.