D-DAY

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doutes
découverte
déni
démembrement
dégoût
désolation
déstabilisation
déshumanisation
douleur
désamour
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dépression
démystification
désert
désunion
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dureté
droits
devoirs
dépit
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désarmement
désarroi
déséquilibre
distance
discordance

divorce ?
divorce.
divorce !

dosvidania
décrassage
décontamination
départ
dormir
direction
discernement
douceur
désir
danser
dignité
délicieux
dénouement
demain
deux ?

le rêve de l’hippocampe

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Je paraphrase ici le titre d’un roman que j’ai lu il y a un mois et que j’ai adoré. Dans ce livre, rêver d’un okapi est plutôt mauvais signe… Je ne sais pas ce qu’a écrit d’autre Mariana Leky mais j’ai bien envie de creuser parce que ça faisait longtemps que je n’avais pas croisé une écrivaine de cette qualité.

J’ai fait un drôle de rêve cette nuit : je suis dans un train avec des tas de personnes, toutes vélorutionnaires (nous n’avons pas nos vélos avec nous mais, ne me demandez pas pourquoi, je sais que tous les gens autour partagent mes valeurs – certains visages me sont connus d’autres non). Puis, après quelques kilomètres de chants (oui, nous chantons tous ensemble – un vrai rêve de hippie !), le train nous dépose dans une crique au bord de l’océan (je ne sais pas lequel). Tout le monde débarque donc et nous nous précipitons dans l’eau. En ce qui me concerne, et ça n’a rien à voir avec le rêve en question, puisque je n’ai pas de maillot, j’y vais cul nu.

J’appréhende un peu, rapport à la température de l’eau que j’imagine frisquette mais pas du tout, l’océan est chaud, doux et légèrement sirupeux- comme du liquide amniotique.

Tout le monde nage, s’ébroue, discute à bâton rompu. On est là, tous bien dans notre peau. Je me sens super bien avec tous ces gens, dans l’eau. Je pense que je suis entourée d’ami.es, que j’aime profondément et qui m’aiment profondément. C’est vraiment génial mais ce n’est encore rien par rapport à ce qui suit.

Je lève les yeux et je vois des centaines d’étoiles – il fait nuit mais on voit assez clair – colorées qui bougent (dansent ?) et se connectent (un peu comme les jeux quand on était petit où, lorsqu’on reliait des points entre eux dans le bon ordre, on découvrait une image) et finissent par former des images qui scintillent. Je ne me souviens que de l’une d’entre elles : un hippocampe de toutes les couleurs !

C’est d’une beauté à couper le souffle – encore plus beau qu’un feu d’artifice et dieu sait que j’aime ça – et je n’arrête pas de rigoler parce que je me sens tellement bien que c’en est dingue.

Je n’ai jamais pris de drogues hallucinogènes mais j’imagine que ça ressemble un peu à cette sensation – quand ça se passe bien.

J’ai regardé le symbolisme de l’hippocampe (ce n’est pas quelque chose que je fais d’habitude mais j’ai une copine qui aime bien ça et comme je me sens connectée à elle en ce moment, ben voilà) : ça parle de solidarité, d’amitié, de douceur, du fait d’apprécier sa vie, le moment présent…

J’ai l’impression (ou plutôt j’aimerais bien) que ce rêve marque le début d’une nouvelle période de ma vie. Mais plus prosaïquement, peut-être que cette mer douce et chaude ne reflétait que la tiédeur de mon lit, au petit matin.

Je suis attablée dans la salle de cette fausse boulangerie, un dimanche matin comme un autre. Je bois un déca allongé. J’ai les doigts gras à cause du pain au raisin industriel que je viens d’avaler. Il pleut des cordes. Les gens défilent et commandent des pains au chocolat, des baguettes bien cuites et des chouquettes.

Mon minuteur vient de sonner – mes petites culottes sont propres, plus qu’à les faire sécher – une vieille chanson des années 80 passe à la radio…

l’automne est là

Je ne sais pas comment c’est chez vous, mais ici il fait vraiment un temps à aller ramasser des champignons (et à rentrer bredouille mais on s’en contrefout) au fond d’un bois puis à rentrer en fin d’après-midi après une longue marche humide pour boire un bon chocolat chaud – le même que quand on était petit.e, celui que notre grand-mère faisait avec du vrai chocolat fondu.

Rien que d’écrire tout ça, je m’en pourlèche les babines. Cet après-midi (si la pluie se calme un petit peu), j’irais donc au fond d’un bois pour marcher une ou deux petites heures en respirant cette merveilleuse odeur de sous-bois caractéristique de l’automne.

Mais pour l’heure, j’ai prévu d’aller au lavomatique (comme lorsque j’étais étudiante) pour faire ma lessive de la semaine. Il y a une fausse boulangerie à côté (qui fait partie d’une chaîne où tout ce qui est vendu est plus ou moins mauvais à la santé) ; j’y prendrais sans doute un café et un pain aux raisins (je ne sais pas s’il ne vaudrait pas mieux écrire un pain au raisin sans « s » – dites-moi si vous vous souvenez de la règle).

Je vais prendre mon ordi pour écrire pendant que mes petites culottes feront la culbute dans l’eau savonneuse parce que l’envie est revenue après ce désert scriptural.

En fait, l’envie d’écrire n’était pas vraiment partie mais j’utilise actuellement ma réserve d’énergie vitale pour gagner ma vie et du coup, il ne m’en reste plus beaucoup (plus du tout, la plupart du temps) le soir pour m’adonner à mon petit péché préféré, qui consiste essentiellement à (me) raconter des histoires.

Cela fait des mois que je n’ai pas écrit une seule nouvelle pour aucun concours. Le NaNoWriMo arrive à grand pas et j’ai très envie d’essayer d’y participer cette année. Je ne sais pas si j’aurais l’énergie nécessaire mais le désir est là, tapi au fond. Mais comme d’habitude quand je veux le faire remonter des profondeurs, il me faudrait une contrainte supplémentaire. Je vais aller chercher s’il y a des concours en ce moment avec un thème défini, histoire de stimuler ma muse.

antidote

J’ai assez mal dormi cette nuit. Je vais passer la journée à Paris pour des rendez-vous médicaux (et aussi pour faire le plein de produits pharmaceutiques et de livres). C’est fou, il y a quelques années, j’aurais sans doute cité les livres en premier mais depuis 1 an environ, j’utilise une liseuse alors, même si je lis toujours autant, je lis moins en version papier.

Là, j’écris dans le train. Au cours de la journée, il est prévu que je prenne un café avec Monsieur l’Empathique et je vous avoue que ça me fait un peu peur. Je n’ai pas peur de retomber dans ses filets, même s’il ressemble comme deux gouttes d’eau à l’homme dont j’étais tombée profondément amoureuse. J’ai enfin compris que cette personne n’existait pas. Mon futur ex mari a les mêmes yeux, la même voix, la même odeur que mon amour mais, un peu comme les villes façades, il n’en a pas l’épaisseur.

Non, ma peur, c’est qu’il parvienne en 10 minutes à ré-éteindre ma lumière. Parce que c’est exactement ça qu’il a fait pendant les 6 années que nous avons passé ensemble. Comme un trou noir, il a aspiré qui j’étais. Comme un respirien (si, si, vous connaissez, ce sont des personnes qui croient sincèrement (enfin les adeptes croient et les gourous encaissent les sous) qu’un être humain peut se nourrir exclusivement de lumière – j’en ai déjà parlé sur le blog mais je ne sais plus où, sinon, allez lire ça, c’est assez édifiant), il s’est abreuvé de mon enthousiasme, de mon énergie vitale, de mes idées, de mes goûts musicaux, de mes petites anecdotes de vie (pour les ressortir à d’autres comme faisant partie de sa vie à lui) et de tout ce qui me constituait sans jamais me donner en retour des petits bouts de lui (faut dire que comme il est vide, il n’a rien à donner). Dans une relation normale, en effet, les deux partenaires abondent à la fois le pot commun de la relation et enrichissent l’autre personne. Alors à la place, il me faisait des cadeaux en croyant que ça allait plaisamment faire le job. Sauf que non, ça ne fait pas le job et que ça contribue même à vider plus vite l’énergie de la victime du hacking.

Bref, j’ai un peu peur mais ça va parce que je ne vais passer que 10 minutes à son contact et que je dispose d’un antidote. Ma personnalité retrouvée (et mes cheveux – en passant) m’aide à m’occuper de nouveau de moi et de mes besoins. Et c’est dingue parce que ça fonctionne. Je peux remplir mon puits intérieur en faisant des choses que j’aime et en interagissant avec de nouvelles personnes.

A ce propos, ce week-end, j’ai passé une drôle de soirée. Pas strictement drôle, bizarre plutôt. Je suis allée écouter un duo d’ami.es qui se produisaient dans une crêperie à une quarantaine de kilomètres de chez moi. La terrasse était toute petite alors pour ne pas prendre une table à moi toute seule, on m’a proposé de dîner en face d’un autre convive également seul (un copain du duo). C’était assez étrange, comme une sorte de date arrangé mais qui ne l’était pas. Il s’avère que l’homme en question (que j’ai du croiser dans ma jeunesse mais je ne l’avais pas reconnu parce que là, il avait les cheveux blancs alors qu’à l’époque, il arborait une crête du plus bel effet) est photographe, vidéaste et illustrateur, qu’il a du talent (je suis allée voir son site internet) et qu’il vit de son activité. Ce qui est bizarre, ce n’est pas ça, c’est la suite. Nous avons commencé à converser gentiment de manière hyper fluide (nous partageons clairement un certain nombre de valeurs et de références). Au bout de 5 minutes environ, j’ai vu arriver un autre homme seul qui s’est installé un peu plus loin que le convive dont je partageais la table. Et vous savez quoi ?

C’était le sosie de Monsieur l’Empathique. Il avait exactement la même dégaine, les mêmes vêtements (un sarouel et une chemise de hippie, les mêmes sandales en cuir), les mêmes cheveux longs mal entretenus, la même barbe, les mêmes yeux (bon j’étais loin mais vu que j’étais face à lui, j’ai eu le temps de détailler) que lorsque je l’ai rencontré. En retournant à la camionnette, j’ai failli me trouver mal et appeler mon copain (celui qui chantait) pour qu’il constate le truc. Le sosie s’était garé à côté de moi : un break un peu pourri avec des tas de trucs derrière pour dormir et voler (oui, il y avait un parapente, comme l’autre). Et là, je me suis dit un truc très important : les mecs comme ça sont légion ! On peut en croiser à tous les coins de rue, ils se ressemblent tous et n’ont aucune personnalité propre.

Au cours de cette soirée étrange, j’ai aussi pensé à mon ex (celui d’avant, que j’appelais Lui, ici) parce que l’homme avec qui j’ai dîné était la version aboutie de ce que mon ex aurait pu devenir s’il avait voulu (je l’ai revu brièvement il y a peu de temps et le moins qu’on puisse dire, c’est que c’est bien pire que ce que j’aurais pu imaginer à l’époque où on était ensemble).

L’orage qui grondait au loin, la musique berçante et ces deux hommes croisés… Je ne sais plus trop si j’ai rêvé tout ça ou si ça s’est vraiment passé dans la réalité mais je m’en fiche ; je tiens mon antidote.

tiens, encore une

J’ai participé au premier concours de nouvelles de la ville de Boé. Et puisque je n’ai pas été sélectionnée parmi les lauréat.es, vous pouvez lire ma production ci-dessous.

Je me suis vraiment amusée à écrire quelque chose qui ne ressemble pas à ce que j’écris pour un public ado (ce n’était pas dans les consignes du concours mais j’avais envie).


Tiens, encore une !

Vanille se leva de mauvaise humeur. Elle avait très mal dormi. Soso n’avait pas arrêté de feuler contre un ennemi imaginaire. Il avait fallu qu’elle la chasse de la chambre pour réussir à retrouver un peu de calme et mine de rien, ça l’avait contrariée – qu’elle aille au Diable, cette maudite chatte !

Aujourd’hui, elle fêtait son quinzième anniversaire et la journée promettait d’être horriblement longue étant donné qu’elle avait eu l’interdiction formelle d’inviter ses copines et de sortir de la maison. La famille avait parlé d’une seule voix et si elle avait bien appris quelque chose ces quinze dernières années, c’était qu’elle n’avait vraiment aucune chance de gagner face aux trois autres.

Lorsqu’elle descendit de son antre sous les toits, prête à tirer une tête de six pieds de long pour bien signifier toute l’étendue de son désaccord, son téléphone se mit à vibrer dans la poche de son jogging. Sûrement Laura qui voulait être la première à lui souhaiter son anniv’ – sauf que, dommage Laura, Bastien l’avait devancé en lui envoyant un sms à minuit une ! Alors qu’elle sortait son téléphone pour répondre, elle se prit les pieds dans la carpette (mais quelle idée stupide de mettre des tapis partout !) et dévala les vingt marches et des poussières, sur les fesses, jusqu’au matelas de Lady Carla (le bichon frisé adoré de sa grand-mère).

Réveillée en sursaut par tout ce bruit, la fameuse Lady ne trouva alors rien de mieux à faire que de lui mordre l’avant bras. La journée commençait sur les chapeaux de roue.

A la place de son bol de chocolat chaud habituel, Vanille trouva sur la table de la cuisine une tasse remplie d’une mixture pas très ragoûtante.

« – Nan mais là, c’est une blague. Maman ?! Maaaaaaaaman ?! C’est quoi le truc sur la table ?

– C’est pour toi, c’est du Breuch.

– Hein ?!

– Du Breuch, un mélange de plantes. C’est un breuvage traditionnel qu’on sert aux jeunes filles pour leur quinzième anniversaire. »

Vanille avança doucement son nez de la tasse. Décidément, sa mère devenait de plus en plus zarbi avec les années. Du Breuch ? Elle n’avait jamais entendu parler de ça. Laura, qui avait fêté ses quinze ans depuis déjà deux mois, n’aurait sûrement pas manqué de le lui raconter si elle avait été obligée de boire un truc aussi dégueu.

« – Oh, put*, purée de pois mais c’est quoi cette odeur de pourri ? Il n’est absolument pas question que j’avale ça. No way ! »

Constance se rapprocha de sa fille et lui chuchota alors que la boisson avait été préparée par mémé Victoire et qu’elle serait très vexée si elle ne l’avalait pas. Sans compter que si elle refusait de le boire, elle n’aurait pas ses cadeaux.

« – Allez Vanille, fais plaisir à mémé. Bouche-toi le nez. Tu verras, ça passe tout seul. »

La jeune fille réprima un haut-le-cœur, s’imagina le nouvel Iphone qui devait l’attendre tranquillement dans sa boîte et engloutit l’immonde tisane sans moufter.

Victoire et Constance applaudirent des deux mains en poussant des houhou, ce qui fit apparaître Marie-Louise à la porte de la cuisine.

« – Que se passe-t-il ?

– Rien de spécial, Vanille a bu son Breuch, lui rétorqua Constance.

– Non mais flûte alors. Nous nous étions mises d’accord : nous devions être toutes auprès d’elle pour chacune des étapes. Vous auriez pu m’attendre tout de même ! »

Vanille roula des yeux parce qu’un petit détail de ce que venait de dire sa grand-mère ne lui avait pas échappé.

« – Euh, des étapes ?! C’est quoi ce gros délire ? Ne me dites pas que je vais devoir avaler d’autres trucs infâmes ! »

Les trois femmes alignées devant elle baissèrent les yeux. Le silence se fit tellement épais que Vanille eut l’impression d’entendre les remous de la Garonne, pourtant située à deux cents mètres de la maison.

« – Bon, bon, bon. Je vois que vous êtes toutes bien courageuses ce matin. Vous savez quoi ? Je vais aller me doucher et quand je ressortirai, faudra qu’on cause ! » Sur ce, elle sortit de la cuisine en claquant la porte.

La douche lui fit le plus grand bien. Alors qu’elle se séchait les cheveux, elle se dit qu’elle avait peut-être été un peu dure avec les trois femmes qui constituaient la totalité de sa famille. Après tout, elles avaient toujours été là pour elle. Peut-être même qu’en fait, elles lui avaient préparé une grosse surprise et qu’elles avaient invité tous ces amis en douce. Lorsqu’elle sortit, elle avait retrouvé sa bonne humeur habituelle et ne leur en voulait déjà plus pour ce début de journée difficile.

Cependant, en rentrant dans la cuisine, elle s’aperçut que ses belles hypothèses étaient peut-être erronées puisqu’elles affichaient leur tête « l’heure est grave ». Pendant deux secondes, Vanille se dit qu’elles étaient bonnes comédiennes même si elle n’avait jamais eu l’occasion d’admirer ce talent caché jusqu’à présent.

Son arrière grand-mère toussota puis lui demanda de s’asseoir d’une voix qu’elle voulait grave mais qui dérapa inexorablement vers les aigus.

« – Vanille, il faut qu’on te parle. »

Du plus vite qu’elle put, elle scanna mentalement toutes les bêtises qu’elle avait fait ses derniers temps mais aucune ne lui parut mériter ce genre de conseil de famille.

« – Oui, il faut qu’on te dise quelque chose de grave, qui nous concerne toutes.

– Je vous écoute, mais qu’est-ce qui se passe enfin ? Vous êtes malades, c’est ça ? Vous allez mourir ?

– Non Vanille, personne ne va mourir. Enfin si évidemment mais pas tout de suite. Ce que nous avons à te dire n’est pas tellement facile à expliquer.

– Mais vas-y mémé, go, go, je t’écoute.

– Alors ce que mémé veut te dire c’est que… », commença sa mère mais elle fut interrompue par la sonnette.

Alléluia pensa Vanille. En fait, c’était vraiment une blague et là, c’est Laura et les potes qui débarquent.

Elles se levèrent toutes comme un seul homme (enfin, une seule femme, en l’occurrence) et elles se précipitèrent à la porte.

Elle décida de resta assise, dos à la porte, se préparant à afficher son air le plus surpris possible quand Laura lui mettrait les mains sur les yeux en criant « Qui c’est ? ». 

Mais évidemment, ce n’est pas du tout ce qui arriva. A la place, sa mère déposa sur la table une poule morte, même pas plumée, avec la tête et tout le reste. 

« – Alors voilà, c’était l’élément qui nous manquait pour la cérémonie, lâcha sa mère.

– OK d’accord, donc vous êtes devenues folles. Une cérémonie ? Non mais faut pas vous embêter pour moi, hein ! Vous me donnez mon Iphone et hop, ça s’arrête là. Pas la peine de faire votre ciné, là. 

– Vanille, tu vas devoir m’écouter maintenant.

– Mais maman, je ne fais que ça depuis ce matin. Mais c’est vous là, zarbis comme tout avec vos trucs.

– Tu vas devoir couper la tête de ce coq et la plonger dans le chaudron qui est derrière la maison. On a déjà préparé tous les autres ingrédients mais le coq, il faut absolument que ce soit toi. » Elle avait dit ça d’une seule traite.

Vanille n’en revint pas. Un vrai cauchemar !

« – Nan mais c’est quoi ce délire ? Jamais je ne toucherai ce truc mort. »

Sa grand-mère prit la parole :

« – Et pourtant Vanille, tu vas devoir nous obéir. Nous sommes toutes passées par là le jour de nos quinze ans.

– Ce qu’on veut te dire Vanille, c’est que tu n’es pas une ado comme les autres, que nous ne sommes pas des femmes comme les autres, compléta son arrière grand-mère.

– Hein ?

– Vanille, nous sommes des sorcières ! »

A partir de ce moment-là, elles se mirent toutes à parler en même temps. Tout se brouilla dans la tête de Vanille. Elle regarda le coq une dernière fois, ressentit une sorte de nausée et tourna de l’œil.

Quand elle reprit connaissance, elle avait visiblement été transportée dans le salon. Elle crût alors qu’elle avait fait un mauvais rêve mais sa grand-mère, d’un geste de la main, lui interdit de parler.

« -Vanille ma belle. La cérémonie n’a pas changé depuis des centaines d’années : apprendre la formule, couper la tête du coq, la plonger dans le chaudron, boire une tasse du bouillon. Aucune d’entre nous n’a voulu que tu soies comme nous mais c’est ainsi. Cette filiation peut te paraître très lourde à porter, surtout au début, mais un jour tu la considèreras comme une chance. Après la cérémonie, tu auras le pouvoir de changer le cours de certains événements, tu pourras soigner des gens, comprendre ce que te disent les animaux. Bref, tu verras, tu t’habitueras… Mais pour l’instant, il faut que tu me promettes de faire tout ce qu’on te dira de faire, sans protester.

– Mais…

– J’ai dit « sans protester ».

– Je peux au moins poser une question ?

– Oui bien sûr ma puce, lui répondit gentiment son arrière grand-mère.

– Si je ne veux pas devenir comme vous, si on oubliait tout ça, qu’est-ce qui se passerait ? »

Un voile sombre s’installa dans les yeux de sa mère quand elle lui répondit gravement :

« – Si tu refuses de rejoindre la congrégation, nous ne pourrons pas te sauver. Toutes celles qui s’y sont opposées ont été bannies. Nous ne les avons jamais revues. »

Alors Vanille suivit exactement les consignes que lui donnèrent sa mère, sa grand-mère et son arrière grand-mère. Elle coupa la tête de ce maudit coq, apprit consciencieusement les quinze phrases de la formule magique et but une tasse de l’horrible soupe du chaudron.

Lorsque ce fut fait, les trois femmes l’accompagnèrent au bout du jardin et la firent asseoir sur la souche de chêne qui se trouvait là depuis des temps immémoriaux. Elles se placèrent autour d’elle et ensemble, elles commencèrent à réciter la litanie qui ferait de Vanille la dernière sorcière de sa lignée, jusqu’à ce qu’elle devienne mère à son tour.

Et, alors qu’elles prononçaient le dernier mot de la formule, dans Boé village, une onde de choc secoua brutalement le cours de la Garonne.

Soso la chatte se réveilla brusquement et pensa : « Tiens, encore une ! », puis elle se rendormit profondément.