La voici enfin qui sort de moi, cette nouvelle. Pas du tout comme je l’avais prévue. Je l’ai commencée trois fois. Les deux premières n’ont pas abouti. Je suis restée bloquée aux alentours de la dixième phrase, à chaque tentative. Alors, j’ai trituré le problème dans tous les sens et je crois que j’ai trouvé une réponse, celle que j’écris en ce moment même.
C’est le thème qui me pose problème : Histoires de famille. Comment moi, puis-je écrire sur des histoires de famille ? Question de légitimité, de place. J’ai toujours eu des difficultés avec cette histoire de « famille ». Qu’est-ce que c’est au juste ? Un clan ? Un groupe de personnes qui s’aiment, qui se détestent et qui se pardonnent, qui restent ensemble malgré tout, qui se reconnaissent ? Je ne sais pas du tout ce que c’est qu’une famille ou plutôt j’en ai une idée déformée, formée par mon histoire.
Noël est la fête de famille par excellence. C’est sans doute pour ça que j’ai toujours détesté cette période de l’année. D’habitude, je me fais une bonne grosse déprime le 24 ou le 25. Et cette année, pas du tout. Je me suis tapée ma bonne grosse déprime hier (le 28). Mais du coup, si ce n’est pas Noël qui a provoqué le coup de blues cette année, c’est quoi ?
Je suis allée, comme souvent en rentrant du marché, boire un café chez une copine. Et hier, je ne sais pas pourquoi, elle ne m’a pas parlé. Elle avait sans doute d’autres choses à faire – ça lui arrive souvent, ça nous arrive à tous d’avoir autre chose à faire. Sauf qu’hier, je ne sais pas ce qui s’est passé dans ma petite tête de pioche mais je l’ai interprété comme une forme de rejet. Je me suis sentie rejetée par quelqu’un que je considère comme faisant partie de ma « famille ». Bien entendu, je sais pertinemment qu’elle n’est ni ma sœur ni ma cousine. Je me doute bien aussi qu’elle-même ne se considère pas comme telle. C’est un système mis en place il y a bien longtemps dans ma vie : partout où je vis, je construis inconsciemment autour de moi une sorte de « famille » symbolique, un clan de rattachement. Les individus qui composent ce groupe ne sont pour la plupart pas au courant de ce qu’ils représentent pour moi ; ça ne fonctionne souvent que dans un sens. J’ai appris au fil des années à ne pas me sentir désarçonnée lorsque je m’aperçois que l’attachement que je ressens vis à vis d’eux n’est pas réciproque.
Pourquoi je fais ça ? Toutes les personnes qui disposent d’une famille toute faite ne peuvent pas comprendre ce qui se passe en moi de manière automatique – en dehors de mon contrôle. Elles peuvent éventuellement essayer de l’appréhender intellectuellement mais c’est une chose de le concevoir et une autre de le ressentir au plus profond de soi. Lorsqu’ils parlent de leur famille, les gens parlent de racines, d’amour inconditionnel, de gènes, d’héritage, de tout un tas de trucs dont je n’ai aucune connaissance. Tous les petits humains ont un besoin irrépressible de s’attacher à une ou plusieurs figures humaines adultes. Sinon, ils meurent. Quand on a été comme moi bringuebalée à droite et à gauche, l’instinct de survie pousse à s’attacher aux humains adultes autour de soi. Parfois, les gens autour de vous sont totalement incapables de vous protéger et parfois encore, ils font exactement le contraire.
Alors voilà, lorsque je m’installe quelque part, j’essaie de m’attacher à des humains non plus maintenant pour satisfaire mon besoin de protection (je suis grande et je sais me mettre en sécurité toute seule) mais pour satisfaire mon besoin de reconnaissance sociale : faire partie du même clan. C’est non seulement important pour moi mais indispensable pour ma survie affective.
Noël est un moment de l’année où les clans (les familles) se recomposent pour quelques jours, histoire de retricoter des liens ou au moins de s’assurer qu’ils sont là. Hier, je me suis sentie exclue du clan (qui n’existe que dans ma tête, je vous le rappelle) et j’en ai souffert.
J’ai réfléchi et je me suis souvenue d’autres clans créés au fil de mes déménagements. Evidemment, j’ai repensé à Bordeaux et à tous ces gens qui ont traversé ma vie. Là-bas, je me sentais chez moi parce que j’avais autour de moi une « famille » forte et présente. Ici, je ne suis pas entourée. Je suis seule la plupart du temps et même si j’aime beaucoup la solitude, il est difficile de l’apprécier lorsqu’elle n’est pas choisie.
J’ai décidé d’arrêter les frais. Je vais repartir d’ici comme j’y suis venue : sur la pointe des pieds. Je n’y suis pas chez moi. Mes engagements professionnels m’obligent à rester jusqu’à fin septembre mais après, je colle mes affaires dans un box et je pars en voyage quelques mois, histoire d’y voir plus clair.
Esseulée volontaire. Il faut bien que j’en profite de cette liberté, non ?!
Il y a des gens qui pensent et qui me disent que j’ai de la chance de ne pas avoir de famille, de liens, d’attaches. Je ne réponds rien parce que ce serait difficile de leur expliquer le vertige, le vide immense qu’on ressent quand on sait qu’on ne manque à personne… ni même à son chat (mon dernier pépère poilu est mort début octobre et il me manque terriblement).
Bref, je prends mon billet d’avion bientôt. J’hésite encore sur ma première destination (il y en aura plusieurs puisque j’ai prévu de partir 6 mois hors de France).