je ne veux pas travailler

Photo by Kinga Cichewicz on Unsplash

Cela faisait une bonne heure qu’elle me bassinait avec l’après bac. Elle était bien gentille Martine mais parfois elle m’ennuyait à mourir à toujours agir comme la jeune fille comme il faut qu’elle était : sérieuse, polie et encore vierge, évidemment.

Moi, je l’avais déjà fait avec des tas de gars. En ce moment, je faisais tourner en bourrique une relation de mon père. François avait la quarantaine bien tassée et un mariage en berne. Il avait repris la maison d’édition créée par son père et disposait de revenus très confortables. Les cadeaux que je lui faisais cracher en échange des miettes que je lui accordais commençaient à s’entasser dans mon armoire. Je m’en fichais comme de ma première chemise. Ce que je voulais, ce que je souhaitais au plus profond de moi, c’était rendre mon père fou. Je multipliais les indices, je faisais semblant de laisser échapper le prénom de François au cours de prétendues conversations téléphoniques avec mes amies, que j’avais, bien entendu, lorsque mon père était à portée d’oreille. Pendant les dîners auxquels il assistait, je jouais la petite fille timide qui n’osait pas regarder en face un amoureux. Mon petit manège commençait à porter ses fruits puisque je voyais que mon père était de plus en plus mal à l’aise en ma présence. Si seulement il avait le courage de crever l’abcès ! Empêtré qu’il était dans sa morale, il ne savait pas comment faire pour parler à sa fille unique de ces choses-là. Il n’osait pas prendre le problème de front parce qu’après tout, il se trompait sûrement. Il était impossible que sa fille, son unique fille puisse être aussi effrontée à 15 ans. Et puis, s’il se faisait des idées, il ne faudrait pas qu’il instillât sous son crâne innocent des pensées malsaines.

François vivait très mal mes tentatives pour me faire démasquer. Il tentait parfois de me faire la leçon, me communiquant ses angoisses entre la poire et le dessert alors que nous quittions tous les deux la table inopinément. Je trouvais ça terriblement drôle, cette manière qu’il avait d’essayer de me dissuader. Pourtant, il était clair comme de l’eau de roche que le coq en lui y prenait un plaisir intense. Quand je n’en pouvais plus, je le menaçais de ne plus jamais mettre un pied dans sa petite garçonnière de la rue Laplace. Ah les yeux qu’il me roulait à ce moment là et ses petites lèvres toutes tremblotantes ! A mourir de rire. Les hommes sont vraiment des idiots.

– Sauf que moi, Martine, je ne veux pas travailler.

– Quoi ? Tu crois vraiment que ton père acceptera de t’entretenir toute ta vie ?

– Je n’ai pas dit ça.

– Bah quoi ? Comment vas-tu faire, alors ?

– Me faire entretenir… mais par un autre homme que mon père, voire par plusieurs autres.

Et voilà, je lui avais bien rabattu son caquet à cette chère Martine. J’avais bien senti qu’elle voulait répliquer mais ses bonnes manières l’empêchaient de formuler la moindre critique à mon encontre.

– Martine, Isabelle, vous descendez ? J’ai fait du cake.

En quittant ma chambre à l’appel de la bonne, je lui fis un petit clin d’œil histoire de la détendre un peu et de lui signifier que tout ça était une bonne blague. Son petit air pincé disparut comme par magie et ses joues retrouvèrent un peu de couleurs. Il ne fallait tout de même pas qu’elle me claque entre les doigts. J’avais encore besoin d’elle.


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