tiens, encore une

J’ai participé au premier concours de nouvelles de la ville de Boé. Et puisque je n’ai pas été sélectionnée parmi les lauréat.es, vous pouvez lire ma production ci-dessous.

Je me suis vraiment amusée à écrire quelque chose qui ne ressemble pas à ce que j’écris pour un public ado (ce n’était pas dans les consignes du concours mais j’avais envie).


Tiens, encore une !

Vanille se leva de mauvaise humeur. Elle avait très mal dormi. Soso n’avait pas arrêté de feuler contre un ennemi imaginaire. Il avait fallu qu’elle la chasse de la chambre pour réussir à retrouver un peu de calme et mine de rien, ça l’avait contrariée – qu’elle aille au Diable, cette maudite chatte !

Aujourd’hui, elle fêtait son quinzième anniversaire et la journée promettait d’être horriblement longue étant donné qu’elle avait eu l’interdiction formelle d’inviter ses copines et de sortir de la maison. La famille avait parlé d’une seule voix et si elle avait bien appris quelque chose ces quinze dernières années, c’était qu’elle n’avait vraiment aucune chance de gagner face aux trois autres.

Lorsqu’elle descendit de son antre sous les toits, prête à tirer une tête de six pieds de long pour bien signifier toute l’étendue de son désaccord, son téléphone se mit à vibrer dans la poche de son jogging. Sûrement Laura qui voulait être la première à lui souhaiter son anniv’ – sauf que, dommage Laura, Bastien l’avait devancé en lui envoyant un sms à minuit une ! Alors qu’elle sortait son téléphone pour répondre, elle se prit les pieds dans la carpette (mais quelle idée stupide de mettre des tapis partout !) et dévala les vingt marches et des poussières, sur les fesses, jusqu’au matelas de Lady Carla (le bichon frisé adoré de sa grand-mère).

Réveillée en sursaut par tout ce bruit, la fameuse Lady ne trouva alors rien de mieux à faire que de lui mordre l’avant bras. La journée commençait sur les chapeaux de roue.

A la place de son bol de chocolat chaud habituel, Vanille trouva sur la table de la cuisine une tasse remplie d’une mixture pas très ragoûtante.

« – Nan mais là, c’est une blague. Maman ?! Maaaaaaaaman ?! C’est quoi le truc sur la table ?

– C’est pour toi, c’est du Breuch.

– Hein ?!

– Du Breuch, un mélange de plantes. C’est un breuvage traditionnel qu’on sert aux jeunes filles pour leur quinzième anniversaire. »

Vanille avança doucement son nez de la tasse. Décidément, sa mère devenait de plus en plus zarbi avec les années. Du Breuch ? Elle n’avait jamais entendu parler de ça. Laura, qui avait fêté ses quinze ans depuis déjà deux mois, n’aurait sûrement pas manqué de le lui raconter si elle avait été obligée de boire un truc aussi dégueu.

« – Oh, put*, purée de pois mais c’est quoi cette odeur de pourri ? Il n’est absolument pas question que j’avale ça. No way ! »

Constance se rapprocha de sa fille et lui chuchota alors que la boisson avait été préparée par mémé Victoire et qu’elle serait très vexée si elle ne l’avalait pas. Sans compter que si elle refusait de le boire, elle n’aurait pas ses cadeaux.

« – Allez Vanille, fais plaisir à mémé. Bouche-toi le nez. Tu verras, ça passe tout seul. »

La jeune fille réprima un haut-le-cœur, s’imagina le nouvel Iphone qui devait l’attendre tranquillement dans sa boîte et engloutit l’immonde tisane sans moufter.

Victoire et Constance applaudirent des deux mains en poussant des houhou, ce qui fit apparaître Marie-Louise à la porte de la cuisine.

« – Que se passe-t-il ?

– Rien de spécial, Vanille a bu son Breuch, lui rétorqua Constance.

– Non mais flûte alors. Nous nous étions mises d’accord : nous devions être toutes auprès d’elle pour chacune des étapes. Vous auriez pu m’attendre tout de même ! »

Vanille roula des yeux parce qu’un petit détail de ce que venait de dire sa grand-mère ne lui avait pas échappé.

« – Euh, des étapes ?! C’est quoi ce gros délire ? Ne me dites pas que je vais devoir avaler d’autres trucs infâmes ! »

Les trois femmes alignées devant elle baissèrent les yeux. Le silence se fit tellement épais que Vanille eut l’impression d’entendre les remous de la Garonne, pourtant située à deux cents mètres de la maison.

« – Bon, bon, bon. Je vois que vous êtes toutes bien courageuses ce matin. Vous savez quoi ? Je vais aller me doucher et quand je ressortirai, faudra qu’on cause ! » Sur ce, elle sortit de la cuisine en claquant la porte.

La douche lui fit le plus grand bien. Alors qu’elle se séchait les cheveux, elle se dit qu’elle avait peut-être été un peu dure avec les trois femmes qui constituaient la totalité de sa famille. Après tout, elles avaient toujours été là pour elle. Peut-être même qu’en fait, elles lui avaient préparé une grosse surprise et qu’elles avaient invité tous ces amis en douce. Lorsqu’elle sortit, elle avait retrouvé sa bonne humeur habituelle et ne leur en voulait déjà plus pour ce début de journée difficile.

Cependant, en rentrant dans la cuisine, elle s’aperçut que ses belles hypothèses étaient peut-être erronées puisqu’elles affichaient leur tête « l’heure est grave ». Pendant deux secondes, Vanille se dit qu’elles étaient bonnes comédiennes même si elle n’avait jamais eu l’occasion d’admirer ce talent caché jusqu’à présent.

Son arrière grand-mère toussota puis lui demanda de s’asseoir d’une voix qu’elle voulait grave mais qui dérapa inexorablement vers les aigus.

« – Vanille, il faut qu’on te parle. »

Du plus vite qu’elle put, elle scanna mentalement toutes les bêtises qu’elle avait fait ses derniers temps mais aucune ne lui parut mériter ce genre de conseil de famille.

« – Oui, il faut qu’on te dise quelque chose de grave, qui nous concerne toutes.

– Je vous écoute, mais qu’est-ce qui se passe enfin ? Vous êtes malades, c’est ça ? Vous allez mourir ?

– Non Vanille, personne ne va mourir. Enfin si évidemment mais pas tout de suite. Ce que nous avons à te dire n’est pas tellement facile à expliquer.

– Mais vas-y mémé, go, go, je t’écoute.

– Alors ce que mémé veut te dire c’est que… », commença sa mère mais elle fut interrompue par la sonnette.

Alléluia pensa Vanille. En fait, c’était vraiment une blague et là, c’est Laura et les potes qui débarquent.

Elles se levèrent toutes comme un seul homme (enfin, une seule femme, en l’occurrence) et elles se précipitèrent à la porte.

Elle décida de resta assise, dos à la porte, se préparant à afficher son air le plus surpris possible quand Laura lui mettrait les mains sur les yeux en criant « Qui c’est ? ». 

Mais évidemment, ce n’est pas du tout ce qui arriva. A la place, sa mère déposa sur la table une poule morte, même pas plumée, avec la tête et tout le reste. 

« – Alors voilà, c’était l’élément qui nous manquait pour la cérémonie, lâcha sa mère.

– OK d’accord, donc vous êtes devenues folles. Une cérémonie ? Non mais faut pas vous embêter pour moi, hein ! Vous me donnez mon Iphone et hop, ça s’arrête là. Pas la peine de faire votre ciné, là. 

– Vanille, tu vas devoir m’écouter maintenant.

– Mais maman, je ne fais que ça depuis ce matin. Mais c’est vous là, zarbis comme tout avec vos trucs.

– Tu vas devoir couper la tête de ce coq et la plonger dans le chaudron qui est derrière la maison. On a déjà préparé tous les autres ingrédients mais le coq, il faut absolument que ce soit toi. » Elle avait dit ça d’une seule traite.

Vanille n’en revint pas. Un vrai cauchemar !

« – Nan mais c’est quoi ce délire ? Jamais je ne toucherai ce truc mort. »

Sa grand-mère prit la parole :

« – Et pourtant Vanille, tu vas devoir nous obéir. Nous sommes toutes passées par là le jour de nos quinze ans.

– Ce qu’on veut te dire Vanille, c’est que tu n’es pas une ado comme les autres, que nous ne sommes pas des femmes comme les autres, compléta son arrière grand-mère.

– Hein ?

– Vanille, nous sommes des sorcières ! »

A partir de ce moment-là, elles se mirent toutes à parler en même temps. Tout se brouilla dans la tête de Vanille. Elle regarda le coq une dernière fois, ressentit une sorte de nausée et tourna de l’œil.

Quand elle reprit connaissance, elle avait visiblement été transportée dans le salon. Elle crût alors qu’elle avait fait un mauvais rêve mais sa grand-mère, d’un geste de la main, lui interdit de parler.

« -Vanille ma belle. La cérémonie n’a pas changé depuis des centaines d’années : apprendre la formule, couper la tête du coq, la plonger dans le chaudron, boire une tasse du bouillon. Aucune d’entre nous n’a voulu que tu soies comme nous mais c’est ainsi. Cette filiation peut te paraître très lourde à porter, surtout au début, mais un jour tu la considèreras comme une chance. Après la cérémonie, tu auras le pouvoir de changer le cours de certains événements, tu pourras soigner des gens, comprendre ce que te disent les animaux. Bref, tu verras, tu t’habitueras… Mais pour l’instant, il faut que tu me promettes de faire tout ce qu’on te dira de faire, sans protester.

– Mais…

– J’ai dit « sans protester ».

– Je peux au moins poser une question ?

– Oui bien sûr ma puce, lui répondit gentiment son arrière grand-mère.

– Si je ne veux pas devenir comme vous, si on oubliait tout ça, qu’est-ce qui se passerait ? »

Un voile sombre s’installa dans les yeux de sa mère quand elle lui répondit gravement :

« – Si tu refuses de rejoindre la congrégation, nous ne pourrons pas te sauver. Toutes celles qui s’y sont opposées ont été bannies. Nous ne les avons jamais revues. »

Alors Vanille suivit exactement les consignes que lui donnèrent sa mère, sa grand-mère et son arrière grand-mère. Elle coupa la tête de ce maudit coq, apprit consciencieusement les quinze phrases de la formule magique et but une tasse de l’horrible soupe du chaudron.

Lorsque ce fut fait, les trois femmes l’accompagnèrent au bout du jardin et la firent asseoir sur la souche de chêne qui se trouvait là depuis des temps immémoriaux. Elles se placèrent autour d’elle et ensemble, elles commencèrent à réciter la litanie qui ferait de Vanille la dernière sorcière de sa lignée, jusqu’à ce qu’elle devienne mère à son tour.

Et, alors qu’elles prononçaient le dernier mot de la formule, dans Boé village, une onde de choc secoua brutalement le cours de la Garonne.

Soso la chatte se réveilla brusquement et pensa : « Tiens, encore une ! », puis elle se rendormit profondément.