sa tarte aux pommes habituelle n’était pas terrible mais il faut dire qu’elle n’avait qu’une main

tarte aux pommes
Photo by Dilyara Garifullina on Unsplash

Cette semaine, j’accueille Sandrine sur mon blog ! Elle est l’heureuse rédactrice de New Life In Sweden, un blog qui traite de… sa nouvelle vie en Suède. Allez donc faire un tour vers son magnifique blog plein de photos qui donnent envie de se blottir dans les bras d’un beau et fort viking (euh, je m’égare).

Du coup, c’est elle qui a rédigé la nouvelle ci-dessous que je vous laisse savourer.


Comme tous les dimanches, je me rends chez ma mère. Ce rendez-vous dominical, nous l’avons instauré en 1994 à la mort de mon père. Tous les dimanches, on fait le tour des nouvelles de la famille, les bonnes comme les mauvaises, les angoisses de la vieillesse, la disparition des proches… Bref tous les petits tracas de la semaine écoulée. Et moi, j’écoute, j’acquiesce, je me veux attentive, je ne sais pas comment je serai à son âge ! Parfois, ces dimanches sont un réel plaisir, un besoin d’être auprès de celle qui a toujours été là, parfois, ils sont pesants, déprimants, on fait toujours le tour des grands et des petits maux de tout le monde et alors ils deviennent une véritable contrainte et je n’ai plus qu’une envie, partir !

Alors voilà un nouveau dimanche. Je prends le soin de me garer devant le garage, ni trop proche, ni trop loin comme si mon père me regardait encore et j’entends toujours ces remarques désobligeantes : « tu es trop près, on ne peut plus passer, mais où est-ce que tu as appris à conduire ? Pfff, les femmes au volant, n’importe quoi ! »

Je sors tranquillement de ma voiture et l’odeur habituelle de la tarte aux pommes envahit mes narines. Et oui tous les dimanches c’est le même rituel : tarte aux pommes et café noisette ! Cette odeur familière m’accompagne jusqu’à la porte d’entrée, une odeur de pommes caramélisées ni trop sucrée, ni trop acide, saupoudrée d’un trait de cannelle et de vanille. Mélangée au café qui sort fumant de la cafetière et ma madeleine de Proust est là. Je prends le temps de savourer cet instant avant de franchir l’année du jardin qui me mènera jusqu’à la sonnette. Ce moment si familier à la fois rassurant et contraignant, un paradoxe dont je ne pourrais pas me passer.

Enfin, je sonne, j’entends les pas traînant s’approcher doucement et ma mère ouvre en grand sa porte et me serre dans ses bras. Je retrouve alors la chaleur de mon enfance, la sécurité, l’épaule toujours prête à m’accueillir sauf que maintenant c’est moi qui dois légèrement me baisser pour l’embrasser. Ce moment on l’attend toutes deux, c’est notre moment.

Après avoir accroché mon manteau dans l’entrée, je me glisse dans le salon et je me colle contre la cheminée. La fin de l’automne est là et le doux crépitement du feu réchauffe cet après midi grisâtre et pluvieux. Ma mère a disposé sur la table basse les tasses de café en porcelaine de Limoges et des assiettes à dessert représentant les grands monuments parisiens. Je profite de ces quelques minutes pour laisser divaguer mon esprit vers de lointains souvenirs et je nous revois enfants, avec mon frère en train de faire une partie de monopoly assis par terre près de la cheminée. Les jeux de société nous permettaient d’occuper ces longues journées automnales. Lui si pétillant et moi timide et renfermée, on était complice, on riait, on ne se disputait jamais. Et mon père qui rouspétait « Vous rangerez tout quand vous aurez terminé. Et celui la là-bas, vous ne jouez plus avec, pourquoi vous l’avez laissé là ? »

De la cuisine, ma mère me demande si je prends toujours une touche de crème dans mon café, ou si j’ai besoin d’autre chose. Je lui demande de m’amener un verre d’eau avec le café. Elle arrive à pas lents, le plateau argenté chargé du café fraîchement coulé, de la crème, du sucre roux, de mon verre d’eau et de la fameuse tarte aux pommes.

Elle s’installe dans le fauteuil et nous sert deux tasses de café fumant avec un nuage de lait pour moi et un sucre. Elle coupe deux morceaux de tarte et alors elle me demande : « Comment s’est passée ta semaine ? » C’est ainsi que toutes nos conversations commencent. Je lui fais un rapide point des événements importants tout en remuant mon café puis je lui lance à mon tour : « Et toi, quoi de neuf cette semaine? Tout le monde va bien ?».

Alors, elle commence à faire le tour des nouvelles de la famille, à évoquer tous les petits soucis des uns et des autres et moi je l’écoute patiemment tout en dégustant mon morceau de tarte. Après quelques heures, je décide d’aller retrouver les miens et je prends congés. Sauf qu’aujourd’hui en partant, je me suis dit : « sa tarte aux pommes n’était pas terrible mais il faut dire qu’elle n’a qu’une seule main ! »