plus de dentifrice, la journée commence bien…

dentifrice sur une brosse à dent
Photo by William Warby on Unsplash

Il avait une grosse journée aujourd’hui. Il devait notamment voir la mère Thibault, une vieille bourge qui habitait une immense maison dans le sud de Neuilly. Elle était propriétaire de trois des plus grosses pharmacies du coin et il ne pouvait pas rater la vente. Son objectif mensuel avait été augmenté depuis que Grignard avait pris la place du vieux Wichgestein. Tout le monde dans la boite s’était logiquement imaginé que ce serait Giroud le prochain big boss. De toute évidence, être le gendre du patron n’ouvrait pas toutes les portes.

Il s’apprêtait à se rendormir quand il entendit Stéphanie crier – sûrement après les gosses. Elle devait être en train de préparer le petit déjeuner : du café fort et des tartines beurrées pour lui, des céréales pour Théo et du thé pour Lisa. Il se demanda un bref instant ce qu’elle pouvait bien prendre, elle, mais évacua rapidement cette question sans importance.

Après ses 20 minutes de sport quotidiennes – en fait, depuis quelques années, il se contentait de parcourir les actualités sportives sur sa tablette – il se dirigea vers la salle de bain pour prendre une bonne douche. Il en profita pour envoyer un sms à Aurélie qu’il avait prévu de voir en fin de journée. Aurélie était une de ses premières conquêtes, une valeur sûre. Avec elle, pas de surprise : elle l’attendrait bien sagement dans sa tenue préférée en ayant pris soin de lui préparer un bon repas accompagné d’une bonne bouteille, un Bordeaux de préférence. Il l’avait délaissée ces derniers mois au profit de deux petites jeunettes (Marion et Julie) qui le laissaient exsangue après leurs nuits enfiévrées et un peu trop olé olé, même pour lui. La dernière fois, elles avaient décidé, sans lui en parler, de convier un de leurs amis à partager leur nuit de débauche. Il avait l’esprit large (il ne crachait pas sur les soirées libertines) mais là, il avait été passablement agacé. Le beau gosse, à peine trentenaire, avait des tablettes là où il n’en avait plus, un sourire ravageur et l’énergie de la jeunesse. Vexé comme un pou, il avait prétexté une obligation familiale aussi pratique que soudaine et s’était éclipsé à deux heures du matin. Il avait dû inventer toute une histoire à Stéphanie pour justifier son retour inopiné de « Marseille » en pleine nuit.

Il enfila une chemise propre, choisit une des cravates de sa collection (celle avec des chats – un clin d’œil à Aurélie, il savait que ça la toucherait) et opta pour un costume sobre et sombre. Il descendit à la cuisine pour avaler son petit-déjeuner et embrasser rapidement sa petite famille. Il remonta alors pour se brosser les dents.

Et là, la tonalité de la journée changea du tout au tout : le tube de dentifrice était désespérément vide. Il essaya vainement d’en extraire une petite noix mais rien ne sortait. Il redescendit en rage pour demander à Stéphanie où elle cachait le nouveau tube. Elle lui répondit qu’elle n’avait pas eu le temps de faire les courses. La moutarde lui monta au nez et il frappa un grand coup sur la table, réveillant ses deux rejetons et renversant par la même occasion un bol de café au lait qui trainait là. Ah tiens, Stéphanie buvait du café au lait se dit-il subitement avant de constater qu’il avait tâché non seulement sa veste de costume mais aussi sa cravate et sa chemise. Il grogna telle une bête et remonta se changer.

Il prit ce qui lui tombait sous la main sans chercher à assembler les couleurs. Tant pis pour Aurélie et sa passion pour les chats ! En descendant l’escalier, il sentit son téléphone vibrer : Aurélie venait de lui répondre.

Le sms était lapidaire : « Pas possible. T’avais qu’à mieux t’occuper de moi. Trouvé qq d’autre. Ne m’appelle plus. »

Putain de merde : c’était vraiment une sale journée qui commençait !