le mort dans le bois

Chemin en forêt
Photo by Alessio Lin on Unsplash

Le thème de cette semaine m’a été proposé par Béa (une super autrice illustratrice jeunesse – et même que je vais bientôt l’interviewer pour en faire un petit audio que je posterai ici-même). Il s’agit de continuer l’histoire (texte en italique) :


Il n’avait rien senti. Pas même la morsure du serpent ou l’étranglement fébrile de sa compagne. Pourtant, il était bien mort là, étendu, inerte. Il se demandait s’il resterait longtemps là, allongé, dans les bois. Mais la question lui parut vite absurde. Son corps, déjà, ne lui appartenait plus.

On dit que quand on meurt, on voit défiler toute sa vie. Il n’avait rien vu du tout. Ni film accéléré en technicolor ni tunnel sombre. Rien. D’autres choses clochaient. Par exemple, alors qu’il était censé ne plus rien ressentir, il avait vraiment l’impression qu’un liquide chaud coulait du côté de son bas-ventre. Afin de s’assurer qu’il s’agissait bien d’un artefact de la mort, il tenta de bouger un peu. Impossible, même en y mettant toute son cœur.

Alors qu’il commençait vraiment à se faire à l’idée de sa mort, il sentit distinctement une douleur au bout de son majeur gauche : une morsure ou plutôt – puisqu’il y portait attention – une sorte de mâchouillement. Quelqu’un – quelque chose – avait entrepris de lui manger le majeur gauche. Un rat ? Au moment où il se posait la question. Il sentit exactement la même douleur au niveau de ses orteils gauches. Ce n’était plus un mais maintenant deux rats qui le boulottaient tranquillement.

Panique ! Mais enfin ! Ce n’était pas du tout ce qu’on lui avait dit. Quand on est mort, on ne sent plus rien, on n’a plus de douleurs, plus de pensées. Ce qu’il vivait ne ressemblait pas du tout à ce qu’on devait vivre dans de pareilles circonstances.

Les rats semblaient plus nombreux maintenant, il sentait leurs petites dents acérées un peu partout sur ses membres et même un peu au somment de son crâne. Que faire sinon attendre qu’ils aient fini ? Il ne voyait pas vraiment ce qu’il pouvait engager. Il rassembla ce qu’il pu d’énergie pour essayer de crier afin de les faire fuir mais rien ne se passa. Et là, venu de nulle part, il entendit très clairement une voix de femme. Il ne réussit cependant pas à saisir ce qu’elle disait. La voix venait de loin, de très très loin. Elle était comme étouffée. Puis la voix cessa d’émettre mais les rats eux, continuaient de le mordre de plus en plus intensément. Il avait l’impression que leur nombre s’était considérablement accru et qu’il augmentait de plus en plus, de minute en minute. Sa peur enflait. Elle remplissait toute son attention.

Une autre voix lointaine. Toujours une femme, pas la même. « Réveil » Il avait compris ce mot. Elle avait parlé de réveil.

Il avait l’impression que le noir qui l’entourait jusqu’alors commençait à se dissiper très lentement. Non, ce n’était pas une impression : il voyait vraiment le jour se faire entre ses paupières closes. Et puis la deuxième voix lui paraissait beaucoup plus proche que tout à l’heure. Dans le jargon incompréhensible, il parvenait à distinguer d’autres mots : « Opération » « Parler ». Et puis une phrase complète, une question : « Qu’est-ce qu’il a pris ? »

Les rats quant à eux ne se calmaient pas. Leurs morsures se faisaient plus insistantes. Ils couvraient dorénavant l’ensemble de son corps. Mais pourquoi la femme ne les chassait-elle pas ?

La première voix : « Je ne sais pas. Je l’ai trouvé comme ça en rentrant, devant la maison, le pantalon baissé jusqu’à mi-cuisses. » Il connaissait parfaitement cette voix. C’était celle de Stéphanie, sa femme.

Il faisait de plus en plus jour.

« Il a bougé les paupières ».

Je ne suis pas mort.

Je ne suis pas mort.

Je ne suis pas mort.

Je ne suis pas mort.